7. La compétitivité (revue et corrigée)

Ce temps-ci, on parle beaucoup de compétitivité. On a tenté d'expliquer ce mot, son sens à partir de ses origines jusqu'à son usage actuel différent singulièrement de son sens étymologique. Loin de nier l'utilité de la connaissance des origines d'un mot, je voudrais néanmoins présenter ici une démarche différente, plus proche d'un présent dans lequel la plupart (à tort, mais la réalité étant ce qu'elle est) se sent utile de s'embarrasser avec la connaissance d'une langue dont, à quelques exceptions près, on n'use plus depuis des centaines d' années. Je me suis donc placé dans la situation d'un citoyen moyen désirant d'en savoir un peu plus sur cette compétitivité tant décriée et ne disposant à cette fin que d'un modeste Larousse de poche, édition 1993 (ce n'est pas cher, et ce n'est pas très gros non plus...)

compétitivité (n.f.) Caractére de ce qui est compétitif. Rien que ça. Définition assez banale, ça n'a pas l'air de dire grand-chose. Et pourtant, nous allons-nous occuper un peu de cette définition... Ainsi, on parle de compétitivité, compétitivité, compétitivité, ... mais quelle compétitivité? Si, selon Larousse, compétitivité signifie le caractère de quelque chose ou quelqu'un de compétitif, ce mot ne peut prendre de sens qu'à parler de ce qui est compétitif. Donc, la compétitivité en soi, ça n'a pas de sens. Evidemment, d'une espéce d'implication culturelle, doit-il y avoir un certain consensus de penser toujours... d'une marchandise, de l'entreprise, de l'économie, etc. derrière le mot compétitivité, comme si ceci allait de soi. Mais par ailleurs, rien n'empêche d'y placer d'autres mots, p. ex. de la citoyenneté, de la protection de l'environnement, de la qualité de vie... qui, elles aussi, entre autres, pourraient revêtir un caractère compétitif. En fait, c'est quoi, compétitif ?

compétitif, ive (adj.) Susceptible de supporter la concurrence avec d'autres (p. ex.: prix compétitifs)

La compétitivité serait donc le caractère de qui est susceptible de supporter la concurrence avec d'autres. Un petit détour par l'entrée de dictionnaire susceptible pour confirmer que je peux remplacer ce mot par ayant la faculté, ce qui transforme la compétitivité comme suit: faculté de supporter la concurrence avec d'autres. Ceci me laisse un peu perplexe. D'un côté, je constate tous les jours que la compétitivité élimine les autres, s'ils sont moins compétitifs. De l'autre, le sens fraîchement trouvé du mot compétitivité m'indique que sans les autres, elle ne peut exister, car la concurrence doit être supportée avec les autres, sinon la compétitivité se trouve en contradiction avec sa propre définition, d'autant plus que le mot supporter me suggère dans toutes ses définitions (p. ex. porter, soutenir, endurer, résister... toujours trouvées dans le même dictionnaire) que plus on est nombreux, plus c'est facile. La solution viendrait-elle du mot concurrence ?

concurrence (n.f.) Rivalité d'intérêts provoqauant une compétition dans le secteur industriel ou commercial. - Jusqu'à concurrence de, jusqu'à la somme de.

Voilà une définition claire! (enfin, presque, car que diable l'expression jusqu'à concurrence de a-t-elle à voir là-dedans? Mais comme j'ai décidé en écrivant ceci de ne pas faire appel à mes connaissances du latin, où le mot concurrence trouve aussi ses origines, je laisse ça de côté comme une singularité linguistique inexplicable). Donc, la formule avec les autres cachait quelque chose qui était différent de ce que je pensais en le lisant pour la première fois. Dès lors, la compétitivité devient la faculté de supporter la rivalité d'intérêts avec d'autres, rivalité provoquant de surcroît une compétition dans le secteur industriel ou commercial. La rivalité étant de son côté définie comme concurrence (j'aurais dû m'en douter) de personnes qui prétendent à la même chose, antagonisme (oh! ça devient dur, ça vient du grec, mais Larousse m'explique généreusement qu'il s'agit là de rivalité [évidemment], lutte [grecque, peut-être?]. Mais revenons donc dans l'abstrait, car lutte ne signifierait antagonisme qu'au sens figuré, qui de son côté n'a donc rien du corps-à-corps.

Qu'on m'explique donc ce qui veut dire rivalité d'intérêts quand le mot intérêt peut dire à peu près tout et son contraire, sollicitude, désir du gain; originalité, bénéfice, participation, souci de l'avantage... (Pour les curieux: l'origine latine de ce mot explique parfaitement cette diversité de sens; il ne signifie rien d'aure que être présent parmi... peu importe qui, quoi et pour quelle raison) Aussi décide-je arbitrairement de m'en tenir à rivalité tout court, celle:
a) qui a lieu avec les autres et dont la compétitivité est la faculté de la supporter (la porter, la soutenir, l'endurer, y résister...)
b) qui provoque une compétition dans le secteur industriel ou commercial. sans quoi la compétitivité ne serait pas ce qu'elle est. Ce qui me mène à penser qu'il ne faudrait peut-être pas tant parler de la compétitivité, mais plutôt de la rivalité, car:
   a) si l'on parle de la supporter, c'est qu'elle constitue de toute évidence un poids, quelque chose qui cause des difficultés, qu'il faut porter, soutenir, endurer et à laquelle il faut résister...
   b) le sens de l'expression avec les autres s'en trouve modifié (je dirais même plus: faussé),
c) dans le secteur industriel ou commercial, il provoque une compétition.


compétition (n.f.) recherche simultanée par plusieurs personnes d'un même poste, des mêmes avantages, épreuve sportive mettant aux prises plusieurs concurrents.

Mais, j'ai déjà lu ça quelque part! C'était... presque littéralement, la définition de la rivalité, enrichie cette fois de celle d'une épreuve sportive. Dès lors, pas question de revenir en arrière, ça donnerait du non-sens: la rivalité qui provoque une compétition, qui n'est rien d'autre qu'une rivalité qui provoque une compétition... rien qu'à y penser, ça me donne le tournis (mais c'est peut-être voulu: la rivalité qui engendre la rivalité qui engendre... ce pourrait être une piste à explorer, mais aujourd'hui, je n'ai pas envie de penser en rond) ; heureusement, il y a du sport dans le secteur industriel ou commercial, provoqué par la rivalité (enfin; je vous épargne la répétition de la définition) avec les autres et met aux prises plusieurs concurrents. Ça se complique. Qui sont donc ces concurrents ?

concurrent, e (adj. et n.) Qui participe à un concours, à une compétition. Qui est en rivalité d'intérêts avec d'autres.

Encore une fois, on en revient à la rivalité, aux intérets. À la compétition aussi. Ça s'appelle références réciproques. Il faudrait éventuellement en tenir compte. Ainsi compris, une épreuve sportive (c. à. d. loyale, régulière, selon Larousse) mettrait aux prises plusieurs rivaux. La compétitivité leur permettrait de supporter leur rivalité. Ou alors: La compétitivité serait la faculté de ceux qui se soumettent à une épreuve loyale et régulière dans le secteur industriel ou commercial de supporter leur rivalité mutuelle.

Cette définition me laisse un peu sur ma faim. Dans le discours dominant, la compétitivité se présente toujours comme quelque chose de dynamique, qui fait bouger les choses... or, ici, avec mon petit dictionnaire, je me trouve avec un mot compétitivité qui ne signifierait que la faculté de certains de supporter plus ou moins stoïquement leur rivalité dans un certain domaine?

Au moins que le seul mot nouveau dans la définition de concurrent apporte vraiment du nouveau.

concours (n.m.) Action de coopérer, d'aider: offrir son concours. Examen permettant un classement des candidats à une place, une entrée dans une grande école, etc., événements survenant en même temps, coïncidence. Dans cette pléthore de définitions, je me permets tout de suite d'écarter la dernière: Personne, à part Coluche, n'a jamais participé à un concours de circonstances. Celle de la compétition sportive aussi, car ce ne serait après tout pas plus utile que de dire que B vient après A parce qu'A venait avant B. Éventuellement, ceux dont le caractère est la compétitivité seraient des participants à un examen. Dans ce cas, ils pourraient l'être autant en qualité d'examinateurs qu'en tant que candidats, car la définition ci-présente ne dit rien à ce sujet. Ceci nous laisse quatre possibilités: a) soit, les concurrents seraient des examinateurs. Dans ce cas, il ne faut pas perdre de vue qu'ici, on est en train de chercher la signification du mot compétitivité, et que l'on a déjà trouvé une partie: c'est la faculté de quelqu'un (on ne sait pas encore très bien qui) de supporter quelque chose (on ne sait pas encore très bien quoi). Or dans un examen, l'examinateur n'a en général pas grand-chose à supporter, à part son incapacité de poser des questions auxquelles le candidat ait envie de répondre. À écarter. b) soit, les concurrents seraient les candidats. Un candidat, ça subit un examen, ça supporte les épreuves, et on pourrait donc définir la compétitivité comme la capacité du candidat, donc du concurrent, de supporter l'épreuve dont il resterait alors plus qu'à déterminer la nature. Il y a pourtant un os de taille de celui d'un diplodocus: déterminer la nature de l'épreuve risque d'apporter des questionnements encore plus complexes. Quels critères sont appliqués, qui les détermine sur la base de quoi, qui sont les examinateurs et qui les met en place... sans oublier la question souvent sournoisement et subrepticement sous-estimée: à quoi ça sert??? À moins que... c) les concurrents soient à la fois candidats et examinateurs. Un bref regard au monde réel permet de voir que ceci paraît effectivement être le cas. En tout cas, il n'est pas facile de reconnaître parmi ceux qui se voient octroyé le caractère de plus ou moins de compétitivité qui examine qui et qui subit un examen de la part de qui. On ne voit que de temps en temps quelqu'un se faire tamponner "non compétitif": travailleur mis au chômage, entreprise fermée... Seulement, plus haut on avait vu que le mot compétitivité (et non pas son emploi courant) impliquait aussi une épreuve sportive, donc loyale et régulière, ce qui se trouve à mon avis impossible quand candidats et examinateurs sont les mêmes. Depuis qu'il est prouvé par la mécanique quantique que toute observation constitue aussi une intervention, on ne peut plus nier que la chose observée change du fait même de son observation. Quand alors il devient impossible de distinguer l'observateur (examinateur) de l'observé (candidat), la situation s'embrouille sérieusement, et on peut parler de tout et n'importe quoi, sauf d'une épreuve loyale et régulière. Donc; à écarter. Reste la quatrième possibilité: d) les concurrents soient ni candidats ni examinateurs. Autant dire qu'il n'y a pas lieu de parler d'examen et donc qu'il faut se tourner vers la première définition du mot concours: action de coopérer, d'aider. Ce qui me fait penser à deux brigades de pompiers particulièrement compétitives, qui arrivées très vite et en même temps sur les lieux d'un incendie laissaient se consumer tout un immeuble en se disputant mutuellement le droit d'éteindre le feu. Cette rivalité devient vraiment gênante (plus haut, je l'avais déjà pressenti). Pour trouver un sens au mot compétitivité, il faut encore chercher... chercher...chercher... Et si le mot compétitivité contenait en lui-même la réponse? Reprenons le puzzle de sa définition: y aurait-il des pièces mal placées? Certains se soumettent à une épreuve régulière et loyale. Cette épreuve a lieu dans le secteur industriel ou commecial. Ils coopèrent, ils aident. Ils possèdent un caractère: celui qu'on appelle compétitivité. Ce caractère leur permet de supporter une rivalité (gênante) mutuelle. Supporter??? Mais... supporter, ceci ne voulait pas dire aussi résister à, ne pas céder sous, lutter contre... Vu sous cet angle, le mot compétitivité prend une tout autre couleur: il signifierait la capacité (d'individus ou groupes) de faire face à une rivalité (dont on ignore l'origine) et de la combattre, car autrement la rivalité ne leur permettrait pas de coopérer ou d'aider (s'entraider?) dans l'épreuve régulière et loyale à laquelle ils se soumettent dans le secteur industriel ou commercial. Ça sonne trop beau pour être vrai, et pourtant, c'est ce que me dit le dictionnaire, bien qu'il ait fallu pour ça un interrogatoire marathon. Cet aspect du mot compétitivité comprend néanmoins encore quelques points d'interrogation, dont un de taille: quelle est la nature de la rivalité à laquelle elle permet de résister? Peut-être serait-il judicieux d'en revenir à un autre mot que nous avons déjà rencontré ici et qui s'était présenté comme un presque-synonyme de rivalité: compétition. Ceci d'autant plus que ce mot possède de toute évidence un degré de parenté assez proche avec compétitivité. Cette fois-ci je voudrais essayer de déterminer ce degré de parenté en cherchant quelques exemples de paires de mots à la racine identique et avec la terminaison en -ivité et -ion.

Lien de parenté

Terminaison ion

Terminaison -ivité

Fait de procéder à les

actions

activité

Tendance à montrer son

affection

affectivité

Caractère tendant vers une

agression

agressivité

Pouvoir de

création

créativité

Caractère tendant à céder aux

impulsions

impulsivité

Faculté d'

interaction

interactivité

Caractère de ce qui marque la

négation

négativité

Tendance à donner des

permissions

permissivité

Caractère de celui qui éprouve un besoin de

possession

possessivité

Caractére de ce qui procède à une

production

productivité

En émettant ici une conclusion rapide purement empirique et nullement basée sur une recherche approfondie, on peut donc dire qu'approxivemativment, les mots en -ivité expriment un caractère, une faculté ou une tendance qui se dirige vers ce qui signifie le mot correspondant en -ion. Appliqué au mot compétitivité, ceci voudrait dire que celui-ci signifierait une faculté ou un caractère tendant vers la compétition. Au début, je suis passé par compétitif, puis concurrence pour arriver au même mot. Or, en utilisant de raccourci, ma compétitivité devient subitement caractère, faculté ou tendance à la recherche simultanée par plusieurs personnes d'un même poste, des mêmes avantages, ou faculté à plusieurs à une épreuve sportive. Ce qui me paraît intéressant dans cette définition, c'est qu'ici, la rivalité a pratiquement disparue, elle ne s'y trouve que sous la forme somme toute assez marginale de la recherche d'un même poste, ce qui pourrait éventuellement donner lieu à l'apparition d'une rivalité; mais ceci n'a guère d'importance face aux deux autres définitions. J'aurais même tendance à éliminer cette partie complètement de la définition du mot compétitivité, vu que la recherche d'un poste est de toute façon en général une activité assez frustrante et peu porteuse d'avenir. Pour le moins, plus de six millions de chômeurs et précarisés en France et moult économistes éminents ne me contrediront pas sur ce point. En ce qui concerne la faculté à plusieurs à une épreuve sportive, j'oserais une simplification et la traduirais par esprit d'équipe. Ceci donne simplement:


compétitivité (n.f.) caractère tendant à la recherche simultanée des mêmes avantages par plusieurs personnes (par tous et pour tous) dans un esprit d'équipe.

Je crois rêver. Hélas! Le dictionnaire contenant cette définition n'est pas encore paru. Ce serait peut-être pour l'édition 2018? N'attendons pas trop longtemps, je commence à perdre patience!

Norbert Prier

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dernière mise à jour le 8 octobre 2015