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Réseau alternatif d'information

par Dragica Mugosa, AIM, Alternativna Informativna Mreza (Réseau Alternatif d'Information)

Le réseau alternatif d'information (AIM - Alternativna informativna mreza) a été créé en octobre 1992, lors d'un colloque organisé par le Forum Civique Européen et la FERL à Oujgorod en Ukraine. Parmi les participants, il y avait une trentaine de journalistes de tous les pays de l'ex-Yougoslavie qui ont fait une description très préoccupante de la situation de leur pays : la guerre en Croatie perdurait, la guerre en Bosnie-Herzégovine battait son plein, et les communications entre les deux pays de l'ex-Yougoslavie étaient interrompues. Nous avons cherché ensemble quel projet concret pourrait être lancé afin de contrer les messages de haine nationaliste et de xénophobie véhiculés par les medias officiels. En effet, ces derniers ont préparé la guerre en manipulant la population par la diffusion de demi-informations et de mensonges. Aussi, par leur refus de participer aux enchères nationalistes, un certain nombre de journalistes se sont vu privés de travail. Ce projet visait donc à rompre le blocus de communication, à donner aux journalistes la possibilité d'exercer leur profession et à fournir aux médias indépendants des informations de qualité relatives aux évènements dans d'autres pays de l'ex-Yougoslavie. Bien que le projet initial ait été très ambitieux, nous savions pouvoir compter sur un élan de solidarité de la part de mouvements civiques de l'Ouest.

Définir autrement la profession de journaliste

À l'époque où nous avons créé le réseau AIM, une transformation du concept de la profession de journaliste avait déjà eu lieu : sous le régime communiste, les journalistes étaient considérés comme des « travailleurs politiques », c'est-à-dire qu'ils devaient défendre les idées du parti. Toute critique ou remise en question du pouvoir était qualifiée de réaction contre l'état et contre le socialisme. Par contre, avec l'indépendance des républiques et l'éclatement de la guerre, les journalistes sont devenus « les patriotes ». S'ils ne suivaient pas la politique de leurs gouvernements respectifs, ils étaient considérés comme des traîtres de la cause nationale et étaient pour la plupart licenciés.

Ainsi, nous savions qu'il y avait des centaines de journalistes professionnels sans travail, qu'il y avait une demande soutenue pour des informations fiables venant des autres républiques et que la crédibilité de ces informations était liée en grande partie au fait qu'elles venaient de journalistes travaillant sur place. Pour le Forum Civique Européen, le défi était de trouver le soutien moral et matériel à la mise en œuvre de cette initiative.

Soutenir les médias indépendants

Techniquement, AIM est un réseau électronique de type mailbox, avec des ordinateurs liés par modems à l'ordinateur central à Paris. Ceci nous a permis d'éviter le blocus des communications, car s'il n'y avait pas de liaisons téléphoniques entre les républiques, celles-ci pouvaient toutes communiquer avec l'extérieur. Depuis le début, je m'occupe de la coordination du réseau. Nous avons commencé avec 30 journalistes et maintenant ils sont 120 qui écrivent pour AIM. Nous avons des rédactions dans toutes les républiques dont une au Kosovo. Ceci était nécessaire compte tenu de la situation politique extrêmement tendue et conflictuelle de cette région où deux ethnies vivent encore dans des sociétés parallèles.

Nous payons les rédacteurs en chef de toutes les rédactions par le versement d'un salaire fixe et les journalistes par pige. Ceci nous a permis d'élargir le réseau de journalistes à l'intérieur de chaque pays. Etant donné que les articles d'AIM sont mis gratuitement à la disposition des médias indépendants en ex-Yougoslavie, AIM a contribué à leur survie ainsi qu'au lancement de nouveaux médias indépendants.

Nous avons pu réaliser ce travail grâce à l'aide de l'Union européenne, du Conseil de l'Europe, de plusieurs gouvernements européens ainsi que de nombreuses ONG. L'Union européenne nous fournit des subventions importantes depuis 1993, et depuis 1995, le Conseil de l'Europe a inclus AIM dans son « Programme de mesures de confiance ».

Réaliser un réseau transnational

Grâce à ce soutien financier, AIM a pu se développer. Il reste cependant relativement modeste par rapport aux vrais besoins des journalistes et des médias indépendants en ex-Yougoslavie. Pourtant, sa valeur réside en premier lieu dans le fait que c'est un projet transnational qui exige un engagement personnel, pas seulement professionnel, de la part des journalistes. Accepter de travailler avec les journalistes d'autres pays de l'ex-Yougoslavie dans un cadre institutionnel tel que AIM, signifie accepter d'avance d'être considéré comme « l'ennemi intérieur », le « yougonostalgique », le « traître de la cause nationale », etc., puisque ses articles sont publiés dans « les pays ennemis ». De telles réactions de la part des gouvernements nationalistes ont mis en évidence leur volonté de tenir la population enfermée dans les frontières du pays, en présentant l'entourage comme forcément dangereux. En dernière analyse, les médias indépendants sur place, malgré leurs nombreuses difficultés de travail, servaient d'alibi aux gouvernements pour se présenter comme des régimes démocratiques devant leur propre opinion publique (le cas en Serbie) ou devant les pays occidentaux (la Croatie).

Diffuser les informations dans la langue des gens sur place

Une fois la connexion réalisée entre toutes les rédactions, la fonction d'AIM restait d'actualité. En effet, il a fallu développer le réseau des journalistes à l'intérieur de chaque pays pour, justement, assurer la fonction de rapprochement de population et la création de ponts de communication pour instaurer une compréhension et une confiance mutuelles. Ainsi, AIM, dès l'origine, s'inscrit dans la réalité des pays concernés, s'emploie aussi à dépasser les abîmes de méfiance qui séparent minorité et majorité dans chaque pays. Pour exemple, les rédactions du Kosovo et de la Macédoine sont multiethniques et s'assurent que le même article paraisse dans les différentes langues. Depuis l'année passée, l'ensemble des rédactions où il existe une population albanaise importante et un correspondant de Tirana ont commencé à faire une revue de presse concernant des questions d'importance pour cette population et en assurent la parution dans les langues de ces pays. L'idée était que la population qui vit dans des sociétés parallèles a accès aux mêmes types d'information. Ceci était possible grâce à la réputation d'agence indépendante, fiable et objective dont jouit AIM.

Les médias indépendants restent menacés

Suite aux accords de Dayton, nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation tout à fait nouvelle. Le discours de paix est devenu le discours officiel de presque tous les médias, même les médias officiels. Mais pour ces derniers, l'objectif est de maintenir au pouvoir les gouvernements en place. Ils glorifient leurs leaders respectifs et leur rôle dans l'instauration de la paix, sans avoir pour autant abandonné le langage de haine et d'exclusion envers la population des autres républiques. Ainsi, la fin du conflit armé a, d'une certaine manière, rendu plus difficile la situation des médias indépendants. Leur situation maté rielle continue d'être directement dépendante des mesures prises par les pouvoirs en place : les problèmes de disponibilité des imprimeries, de coût de papier (trois fois plus cher que pour les médias officiels) et du réseau de distribution, persistent. Par ailleurs, une transformation des sociétés a eu lieu même dans les pays qui n'ont pas directement subi la guerre. La transformation économique des États a fait qu'une mince couche de la population proche du pouvoir ainsi que les profiteurs de guerre de toutes sortes se sont enrichis, laissant la grande majorité de la population dans la pauvreté. La classe moyenne a pratiquement disparu. La baisse de pouvoir d'achat est accompagnée d'un contrôle strict des médias électroniques. En Croatie, il n'en existe toujours pas d'indépendants, en Serbie le régime a récemment pris en main la seule télévision indépendante « Studio B », en Bosnie-Herzégovine, l'approche de la paix s'est accompagnée de l'incendie des installations de la radio et de la télévision indépendantes « Studio 99 »...

Développer la société civile

Ainsi, la presse indépendante qui est pratiquement la seule à véhiculer d'autres contenus que le nationalisme et l'exclusion, se trouve par son coût élevé difficile d'accès à la population et, par conséquent, réduite à de petits tirages et confrontée à de grands problèmes de distribution. La situation difficile des médias indépendants a des répercussions directes sur des jeunes journalistes pour lesquels les médias officiels restent l'unique alternative pour trouver un emploi. Ici, on revient forcément à la conception de la profession de journaliste valable pour tous les pouvoirs nationalistes en ex-Yougoslavie.

AIM, dans la mesure de ses possibilités, s'est employée à aider les journalistes et les médias indépendants. Dans la politique rédactionnelle, la priorité est donnée aux thèmes concernant la société civile, les droits de l'homme, des minorités, la situation des réfugiés et toutes les initiatives qui mènent vers une meilleure compréhension entre les populations composant les différents pays de l'ex-Yougoslavie. L'idée de base était que c'est uniquement avec le renforcement des processus de démocratisation que l'on peut arriver à la consolidation de la paix dans la région de l'ex-Yougoslavie.

Etre présent sur tout le territoire de Bosnie-Herzégovine

Depuis la conférence à Bruxelles, l'Union européenne a confié à AIM le suivi de la campagne électorale en Bosnie-Herzégovine pour la presse indépendante. Nous sommes déjà parvenus à renforcer notre rédaction à Sarajevo, en ouvrant des postes de correspondants dans les grandes villes de la Fédération ainsi qu'une rédaction à Banja Luka qui a créé le réseau des journalistes indépendants dans la République Srpska. Grâce à notre système mailbox, les échanges entre Sarajevo et Banja Luka se font deux fois par jour et tous les médias indépendants en Bosnie-Herzégovine disposent des informations d'AIM immédiatement et gratuitement. Ceci est très important dans la mesure où AIM est la seule Agence qui couvre tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine.

Dragica Mugosa est la coordinatrice d'AIM, un Réseau Alternatif d'Information, fondé en octobre 1992 en Ukraine avec le but de débloquer la communication entre les différentes républiques de l'ex-Yougoslavie et de promouvoir une meilleure compréhension entre les différentes villes de l'ex-Yougoslavie par une information fiable et indépendante. Grâce à AIM, plus de 3000 articles ont été écrits en 1995 dont plus de 2000 ont été publiés par des médias indépendants en ex-Yougoslavie.


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AIM CyberToile d'AIM
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European Parliament: Brussels, 25 April 1996
URL : http://www.europarl.eu.int/dg7/humrights/dg2/hearings/en/reseau.htm

http://www.europarl.eu.int/dg7/humrights/

Source :
CyberToile du Parlement Européen, http://www.europarl.eu.int/dg7/humrights/en/reseau.htm

Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 22 avril 03 par TMTM

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