Les périphériques vous parlent N° 5
été 1996
p. 2-3

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Le rôle du spectacle Le rôle du spectacle

Une manifestation pour des États du Devenir

Aujourd'hui plus que jamais, nous voyons dans le projet des États du Devenir un objectif susceptible de rapprocher ceux qui n'acceptent pas comme inéluctable l'avenir inquiétant que l'idéologie de la compétitivité basée sur l'élimination de l'autre nous programme. « La logique de lacompétitivité cherche à abaisser le degré de diversité du système en éliminant ceux qui sont incapables de résister aux forces dominantes et d'affronter plus forts qu'eux. En ce sens, elle contribue à l'expansion du phénomène de l'exclusion sociale : les personnes, les entreprises, les villes et les nations non concurrentielles sont laissées pour compte et éliminées de la course. Ce n'est pas acceptable sur le plan moral et ce n'est guère efficace sur celui de l'économie. Plus un système s'appauvrit, plus il perd la capacité de se régénérer. » (Groupe de Lisbonne, Limites à la compétitivité, éd. La Découverte.)

Les États du Devenir concernent donc tout particulièrement ceux qui n'acceptent pas la logique économiste de la compétitivité basée sur l'élimination de l'autre, ceux qui n'ont pas renoncé à se donner un devenir, c'est-à-dire ceux encore qui veulent concevoir un projet d'avenir à faire par tous et pour tous.

L'idée d'une manifestation pour des États de Devenir tient pour l'essentiel de cette remarque : « La concurrence, de concurrencer, désigne des forces poursuivant le même but. De son côté le mot compétition du latin cum petere veut dire rechercher ensemble. » (idem). C'est au pied de la lettre que nous voulons entendre cette explication étymologique lorsque nous proposons cette manifestation que nous voudrions résolument placer sous les auspices du cum petere : un chercher ensemble qui s'oppose au sens que prend habituellement le mot compétitivité, aujourd'hui, soit élimination de l'autre : le concurrent. C'est là, bien sûr un appel à « désobéir » [ voir note ] à l'injonction guerrière que notre époque prête au terme compétitivité.

La manifestation que nous proposons pourrait comporter trois moments. La première journée serait consacrée à la question : Citoyen : acteur ou interprète ?, la seconde à La philosophie, une réponse à l'économisme ?, et enfin la troisième journée serait destinée à débattre du projet des États du Devenir.

Notre intention n° 1 est pas de rassembler un auditoire autour d'experts, de spécialistes qui soumettraient des propositions, aussi intéressantes soient-elles. Nous pensons plutôt à des interventions faites par des personnes qui se sentent concernées à titres divers : des experts certes, mais aussi ceux qui s'expriment à travers l'artistique, les disciplines scientifiques, la philosophie, la formation, ainsi que ceux qui agissent sur le terrain, dans les villes et les banlieues (les associations, entre autres), dans le monde du travail (entreprises et syndicats), les chômeurs, les exclus, les précaires et tous les autres que l'on oublie toujours. La diversité des signataires des États du Devenir atteste déjà du souci de mettre en relation des groupes et des individus d'origines et de sensibilités très différentes.

Tout le long de cette manifestation des débats, des explorations, des ateliers réuniront les participants autour des problématiques que les thèmes de ces trois journées génèrent. À partir des suggestions des protagonistes, nous espérons que les États du Devenir prennent consistance et que des objectifs précis inspirent une action commune. Comme nous l'avons indiqué dans l'Avertissement, les articles qui composent ce numéro représentent une première contribution destinée à orienter une démarche commune pour cette manifestation.


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Le rôle du spectacle

LE RÔLE QUE NOUS VOULONS DONNER AU SPECTACLE DANS CETTE MANIFESTATION

Nous voudrions, maintenant, argumenter un peu sur un choix qui, de nos jours, peut paraître pour beaucoup ne pas aller du tout de soi : l'utilisation du « spectacle ». Avançons, d'entrée de jeu, que nous voulons considérer le spectacle non seulement comme un média destiné à faire connaître un message, mais bien plutôt comme la meilleure procédure pour comprendre ensemble la situation que nous vivons.

Philosophie en acte et Philosophes debout à l'Université de Paris 8 Kathrin Ruchay Federica Bertelli Université Paris 8
Photos : Sonja Kellenberger

C'est dans cette perspective que nous proposons des modes d'expression de nature très diverse : expositions et interventions graphiques, photographiques, audiovisuelles, liées aux hypermédias, ou encore à la théâtralité. Nous sommes ouverts à toutes les propositions, mais ce que nous refuserons, c'est une manifestation dans laquelle les intervenants se retrouveraient de fait plongés dans un climat de compétition.

Dans cette manifestation, il y aurait donc des spectacles, mais nous voudrions profiter de cette occasion pour les sortir de la logique de la consommation et de la compétitivité, pour tenter de donner au terme spectacle un sens actif qui concerne à la fois ceux qui se manifestent sur une scène et ceux qui sont dans la salle. (Nous renvoyons, ici, au concept du spectacle que Marc'O développe dans son article Considérations sur le paradoxe du spectacle.)

Les idées que l'on se fait du spectacle nourrissent bien des équivoques, elles sont sources d'innombrables malentendus. Le terme spectacle présente la même ambiguïté que le mot compétitivité. Sortir de l'idée de la compétition qui vise toujours à désigner « un meilleur », « un plus grand », « un plus moderne », « un plus avancé que » est sans doute excessivement difficile, nous en sommes parfaitement conscients, surtout quand l'artistique est impliqué. Mais le spectacle a aussi son cum petere, son chercher ensemble que l'on peut opposer à l'esprit de compétition qui contamine le monde artistique d'aujourd'hui, cette inclination qui pousse tant de « prétendants artistes » à briguer le haut de l'affiche, à se soumettre au culte du vedettariat, transformant les scènes en sorte d'arènes où l'on postule au hit parade de la renommée, qu'elle vise le commercial ou l'avant-garde. Ce comportement détruit à la base toute perception de l'art en tant que moyen révélateur (savoir) et jouissif (saveur) d'une partie importante de l'activité humaine, c'est lui aussi qui nourrit les lois du showbiz.

Par là, nous ne prônons certainement pas ce que l'on appelle l'art engagé, l'art au service d'une politique, serait-elle la meilleure ; l'autonomie de toutes les formes d'activité et d'expression, art et science en particulier, est une exigence démocratique minimale. Notre position, en la circonstance, est que la culture, l'activité artistique doivent s'occuper de la politique non pour lui servir d'instruments de propagande, mais pour inciter à poser les problèmes de la vie et du devenir que la politique, bornée actuellement à expédier les affaires courantes, est en train d'occulter complètement. Toute expression, dès l'instant où elle apparaît dans la cité, représente un acte politique majeur auquel les citoyens doivent pouvoir répondre. Réponse à laquelle l'artiste devrait aspirer dès l'instant où il s'adresse à ses concitoyens. N'est-ce pas ce que Lautréamont suggère lorsque, parlant de la poésie, il dit qu'elle doit être faite « par tous et pour tous » ?

En résumé, nous tenons à ce que le spectacle, les spectacles dans cette manifestation, ne se donnent pas comme fin en soi : du pur divertissement, serait-il de qualité, mais soient plutôt un moyen, moyens pluriels, de chercher non seulement de quoi peut être faite la culture aujourd'hui, mais comment la faire ensemble, quand le mot culture signifie, ni plus ni moins, manière de donner un devenir à sa vie. Nous nous proposons d'abandonner la démarche habituelle qui consiste à réaliser ou à inviter des spectacles pour les exhiber sur une scène, les spectateurs dans la salle n'ayant d'autre alternative que de passer d'un spectacle à un autre. Nous préférons concevoir une manifestation dans laquelle le public, d'un spectacle à l'autre, serait amené à prendre parti, à intervenir, à débattre, à donner suite (par exemple, dans les divers ateliers). Chaque spectacle pouvant être considéré comme un point d'appui, une référence pour co-construire (acteur et public) un devenir à faire et à vivre.

La rédaction


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 23 avril 03 par TMTM
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Le terme désobéir, en l'occurrence, nous semble bien éclairer le sens que nous voulons donner à cette manifestation. On pourrait parler à ce propos de désobéissance civique, dans la mesure où l'opposition à une telle injonction revendique en premier lieu les droits mêmes d'agir en citoyen. On pourrait ajouter, qu'en première instance, à travers cette résistance, la qualité même de citoyen peut s'affirmer.