Les périphériques vous parlent N° 6
OCTOBRE 1996
p. 2

article précédent dans le n° 6 des états du devenir ?

DE BOUT EN BOUT, JUSQU'AU BOUT CITOYEN DEBOUT AVEC LA PHILOSOPHIE ET LA POÉSIE DEBOUT

La philosophie a besoin des citoyens pour tenir debout, pour se tenir de bout en bout jusqu'au bout, debout, car, autrement - comment autrement ? - faire vivre jusqu'au bout debout tous ces noms de la philosophie, venus du fond des temps, de la mémoire et de l'histoire ? Tous ces noms qui ont fait, qui ont dit ce qu'est, ce que n'est pas, ce que devrait être et ne pas être la philosophie, tous ceux-là, les Socrate, les Platon, les Aristotéliciens, les Épicuriens, et la Scolastique et Descartes et Kant et Leibnitz, et puis les hégéliens, et tous les autres, les Philosophes des Lumières, et Nietzsche et la modernité, les existentialistes et le néopositivisme et les contemporains qui nous ont déjà quittés, les Foucault, les Deleuze et Guattari, et tous ceux qui sont encore là, sans oublier ceux que nous oublions, tous ceux-là qui ont fait et font l'histoire de la philosophie, sans oublier le théâtre de Shakespeare et de Brecht, et le cinéma d'Eisenstein, et Chantons sous la pluie, et toutes les nouvelles et nouvelles nouvelles vagues du cinéma, et de la danse, et de la vie qu'emporte le vent au fil du temps sans oublier les dead men toujours vivants dans les hors-champ et les hors-cadre que Serge Daney nous racontait, sans oublier le cri d'Antonin Artaud, et surtout, et surtout sans oublier, ceux qui ont fait la poésie.

Car qu'est-ce que la philosophie sans la poésie ?

Quand la vérité du marché impose au peuple sa pensée unique, des mots de sang s'impriment sur le nouveau mur virtuel de la honte : “Toujours plus de richesse pour encore plus de misère”. Le déshonneur de la poésie et de la philosophie serait de voir les poètes et les philosophes se cloîtrer dans ces campus retranches appelés universités pour penser un monde qui n'aurait plus aucune réalité.

Cessant de parler au peuple, ils n'auraient d'autre alternative que de se retourner vers Dieu. Qu'ils ne s'étonnent pas alors de devenir la proie des intégrismes et des prédateurs de l'économie de marché.

Et qu'est-ce que la poésie sans souci de la philosophie ?

Et si nous parlons de poésie, c'est que la poésie, aujourd'hui, demande à la philosophie de faire sienne cette exigence de poète quand il crie que « la poésie doit être faite par tous et pour tous », et quand il n'oublie pas d'ajouter encore qu'elle doit avoir pour objet « la vérité pratique ».

Et cette question de poète de bout en bout jusqu'au bout debout à des philosophes qui se veulent eux aussi, de bout en bout, debout, s'énonce ainsi :

Que signifie la longue liste des noms qui ont fait la philosophie, cette philosophie que nous acceptons ou que nous refusons, que nous chérissons ou que nous haïssons ? Ces noms de la philosophie et de la poésie que sont-ils ? Sans toi, sans moi, sans vous, sans nous tous, sans le peuple debout en marche, de bout en bout, debout ?

Le peuple en marche avec la poésie et la philosophie, je veux dire en marche avec sa pensée, le peuple des citoyens debout, jusqu'au bout, debout, dans son acte de penser et dans sa pensée en acte.

Oui, vous avez bien noté que nous n'avons pas dit le peuple tout court, mais le peuple en marche, car qu'est-ce qu'un peuple qui ne marche pas, un peuple en arrêt devant la télé à regarder passer le temps et la vie, sans souci de poésie et de philosophie, sans prise de tête qui engage le corps, encombrement des corps qui ont perdu la tête, la tête prise ailleurs à contempler hébétée les désastres d'un monde fini que hantent les zombis des téléfilms et les décervelés de Jarry.

Quand le peuple est contraint de s'arrêter, qu'il se résigne à attendre la suite des événements, quand le peuple n'a plus de destinée, de longue marche à parcourir pour se forger un devenir, quand le peuple est réduit à tenir un jour de plus pour l'ajouter aux jours passés à les faire mourir, quand le peuple est réduit à toutes les petites et grandes misères, la misère de l'esprit s'ajoutant à la misère de la faim ou de la peur de la faim, lorsque le peuple se coupe ou se laisse couper de sa pensée, de la poésie et de la philosophie, et de la vie, ce n'est plus le peuple, c'est un bourbier de déshumanisés où s'enlise une masse de laissés-pour-compte, un entassement putride de chair et d'os, un agglomérat d'hommes, de femmes et d'enfants qui perdent douloureusement leur humanité.

Coupé de sa pensée, coupé de son élan, sans avenir que celui de nourrir les statistiques - quasiment chaque seconde qui passe voit un pauvre de plus dans le monde - le peuple désincarné ne peut plus être nommé le peuple.

Voilà pourquoi nous évoquons le peuple en marche et pas le peuple tout court. Être ou ne pas être le peuple en marche ? that is the question, aujourd'hui.

La question qui agitera alors la poésie et la philosophie sera : qu'est-ce que la philosophie et la poésie sans le peuple en marche, qui souffre et qui subit le pire pour que vive la philosophie et la poésie qui soutiennent la vie des uns et des autres dans la longue marche humaine vers un devenir qui appartienne à chacun, un devenir de femmes, d'hommes et d'enfants, de bout en bout jusqu'au bout debout pour lutter contre la fatalité des prétendues réalités d'un marché ultra-libéral où la croissance économique repose sur la seule expansion de la misère ?


vers le début de l'article
Sommaire du n° 6 Sommaire
article précédent dans le n° 6 des états du devenir ?
article suivant dans le n° 6 la manifestation : son déroulement

Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 23 avril 03 par TMTM
powered by Debian GNU-Linux 2.4.18