Les périphériques vous parlent N° 12
été 1999
p. 47-51

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 paradoxe de l'histoire 

L'homme occidental occidentalisé

Si la notion d'Europe est acceptable en tant qu'entité géographique, le type de formules telles que “culture européenne”, “peuple européen”, “identité européenne” nient la complexité, tant au niveau des sources que des mouvements, des cultures qui se sont développées en Europe, et ce qu'elles peuvent devenir.

Il m'est coutumier en France de me faire interpeller par des employés de la Police Nationale afin que mon identité soit vérifiée. Je ne m'étendrai pas sur les motifs de ces contrôles; il me suffira de les résumer ainsi : je ne dois pas correspondre à l'idée que les forces de l'ordre se font du bon français. Je suis pourtant français de papier, et fils de père et de mère français de papiers. Comment se fait-il alors que je sois arrêté par des policiers ? Comment se fait-il encore que mon cas n'ait rien de particulièrement exceptionnel ? Cherchant l'étranger, la flicaille tombe sur le Français. Voilà la vérité. Cela n'est-il pas à méditer ? Peut-être que finalement par le contrôle au faciès, c'est la véritable identité du français qu'on veut traquer (ou refouler) : celle du métisse, du métèque.

Autre continent : Afrique. En arrivant au Sénégal, j'ai été immédiatement frappé par l'appellation que me donnaient les femmes, les hommes et les enfants : toubab. Blanc. Voilà que soudain, par un simple changement de continent, je n'étais plus un métèque, mais un blanc au même titre que n'importe quel touriste ou - pour reprendre les paroles d'un rappeur de la banlieue de Yeumbeul auquel j'avais exposé mon étonnement - au même titre que Jacques Chirac. Dans mon pays d'origine, je suis un métèque, et en Afrique je suis un blanc. Je me transforme au rythme des continents traversés; et sans pour cela m'être appliqué aucun traitement d'éclaircissement du pixel de ma peau. En Afrique, je deviens donc un blanc. C'est à partir de ce statut et de l'identité présupposée qui lui est accolée que je suis appréhendé. Mais cela est-il vrai ? Ou, mieux encore, est-il vrai que l'Europe est blanche ? La majorité des européens peuvent-ils être affublés de l'attribut de « blanc » ? Par exemple, pour ne citer qu'eux, les Italiens du Sud, les Espagnols, une bonne partie des Français, des Hongrois, des Tchèques, des Yougoslaves, des Albanais, peuvent-ils être appelés des blancs ? Mais tenons-nous à la France ? La France est-elle blanche ? N'est-elle pas plutôt très largement bariolée ou « tout couleur » pour reprendre un terme que les colons réservaient à la communauté africaine peul ? Comment alors se fait-il que les Français deviennent blancs lorsqu'ils se trouvent en Afrique ?

Évidemment la cause du soudain blanchissement des Français en Afrique, et en l'occurrence au Sénégal, n'est pas imputable aux Sénégalais : la majorité des Français qui vont au Sénégal s'autoproclament eux-mêmes blancs et renvoient sans cesse aux Africains un ensemble de comportements intimement liés à cette Europe fantasmée endogène, générée essentiellement par elle-même, blanche. Blanche et produite par la domination qu'elle n'aurait cessé d'exercer de façon homogène sur le reste du monde, c'est-à-dire sur le monde non européen, non occidental, non blanc. Les militaires français renvoient les africains à la réalité de la domination militaire, qui renvoie elle-même à la continuité de la colonisation. Les touristes représentent la domination économique qui renvoie également à la colonisation. Les touristes viennent voir le pays et les paysages, et viennent acheter. En un mot, ils viennent consommer. C'est en cela qu'ils sont touristes. Consommer quoi ? Tout ce que les Africains produisent à la seule attention des touristes, de ce qu'ils vont chercher en Afrique : statuettes, djembés, bijoux, flèches, crocodiles en bois, masques, ou encore plages « sauvages » apparemment marquées par une solitude naturelle millénaire, et à la vérité savamment interdites d'accès aux populations locales. Les touristes viennent chercher en Afrique un dépaysement préfabriqué avec ruse par les artisans africains à la stricte mesure de la petite imagination des touristes.

Il existe une troisième forme de comportement qui renvoie également à l'image de l'Europe colonisatrice, mais de façon plus subtile. Elle concerne ce que j'appelle avec méchanceté les « amis des Africains » ou les tripoteurs de djembé. Il s'agit de ceux qui vont là-bas pour y rencontrer une sorte de « naturalité de l'Africain, » qu'ils idéalisent mais qui est faite de la même substance que les mythes coloniaux : les Africains seraient cools, sympas, nature, vierges en quelque sorte des affres de la civilisation. Sauf que là, au lieu de servir de prétexte à la guerre et au mépris, le mythe est retourné et conduit à une sorte d'amour insipide, a priori, dont les clichés sur lesquels ils reposent interdisent évidemment de rencontrer les peuples africains dont on brûle d'approcher tout ce qu'ils n'ont jamais été. Ce qui structure cet amour fondé sur une utilisation à l'envers des mythes coloniaux, trahit un terrible complexe de culpabilité. Complexe de culpabilité relatif à la colonisation, à la traite des nègres, et également à ce que les amis des Africains considèrent comme l'actuelle domination de l'Occident sur l'Afrique : processus par lequel l'Occident essayerait de pervertir la naturalité africaine par la technologie par exemple. Le problème est que, d'une part, la majorité des Sénégalais combatifs détestent qu'on leur parle de la traite des nègres et jettent au visage de celui qui l'évoque, d'autres souvenirs : la résistance, par exemple, par le moyen de la guerre ou du suicide collectif de villages peuls; ou encore le souvenir de la colonisation intérieure de l'Europe et des peuples européens par les européens : l'exploitation de millions de travailleurs européens, la mort à petit feu dans les usines, les mines ou les jungles urbaines de millions de sous-ouvriers. D'autre part, les amis des Africains se trompent quant à l'identification du genre de domination que subit actuellement l'Afrique : ce n'est pas la naturalité africaine qui est en péril puisqu'elle n'a jamais existé que dans l'esprit des colons et des amis des Africains, mais bien les moyens d'assurer le devenir d'une tradition, certes, ancestrale, mais dont la nature consiste à ne cesser d'évoluer, de se renouveler, de se réinventer. Ainsi le Mbalax, musique et danse sénégalaises. Si le Mbalax est effectivement enraciné dans une traditionnelle parade à la fois de la guerre et de l'amour, il n'existe en tant que tel qu'à travers une subtile utilisation des instruments électriques dits modernes; utilisation qui modifie et réinvente jusqu'au jeu des percussionnistes, qui sont par ailleurs la plupart du temps formés par des griots, héritiers de richesses et de complexités millénaires. Ainsi, même l'ami des Africains est porteur, à travers son amour, d'un sentiment de supériorité européenne dont il voudrait s'acquitter justement par cet amour. Car, comme on sait, qui dit complexe de culpabilité, dit complexe de supériorité. N'est pas coupable qui veut. Mais est victime qui ne veut pas. Domine même celui qui est désolé de ce pouvoir qu'il exerce sur l'autre. Celui qui s'annonce coupable s'annonce par là même dominant.

La perception humanitaire de la réalité fait subir à cette dernière toutes sortes de déformations qui vont toujours renvoyer la pensée à son impuissance et les philosophes à leurs lubies ou leurs spéculations intellectuelles.

En résumé, la majorité des Européens et des Français présents au Sénégal ont l'habitude de se présenter aux Africains comme des représentants d'une civilisation européenne qui se serait construite sur l'exclusion et la domination systématique de tout ce qui n'était pas européen et de tout ce qui n'était pas blanc. Aussi ne faut-il pas s'étonner que les Sénégalais dénomment d'emblée tout Européen - même d'origine maghrébine - qui arrive chez eux, blanc ou toubab. Mais il ne faut pas pour autant s'en réjouir. D'abord parce que cette image africaine de l'Européen n'a malheureusement rien d'africain. Elle est purement européenne; et ce qui est pire, elle est le produit de ce que l'Europe a de pire : sa pathologie historique; pathologie d'une Europe qui se voit blanche; qui se voit blanche, ou exclusivement européenne depuis sa source symbolique : « la civilisation grecque », jusqu'à aujourd'hui. Les sources à partir desquelles étayer ce que je viens d'affirmer ne manquent pas, quoi qu'elles soient encore très ignorées et très peu utilisées. Mais nous ne nous appuierons ici que sur une seule d'entre elles : le livre de Joseph Fontana L'Europe en Procès. Il nous apprend que, dès le départ, il n'y a « rien de particulier ou de caractéristique dans les premières populations européennes. On suppose que l'homme venant d'Afrique ou d'Asie arriva en Europe au cours d'exodes successifs. » Plus loin, il poursuit la démystification : « Quant à ce que nous appelons notre “civilisation”, ses origines remontent à un ensemble de progrès apparus au Proche-Orient entre 8000 et 7000 avant notre ère, liés à une agriculture fondée sur la domestication de quelques plantes et animaux et à la formation des premières villes. » Le plus solide symbole de l'origine de l'identité culturelle européenne qu'est la civilisation hellénique n'échappe pas à ce principe d'enrichissement et de développement culturel par le métissage et l'ouverture aux autres continents. Au croisement de l'influence de l'Afrique - avec entre autres la civilisation égyptienne et de l'Asie, la civilisation grecque doit sa richesse et son inventivité à cette situation de confluence et non à un travail mené en milieu fermé sur sa particularité pré-européenne. Et pourtant, c'est aux grecs eux-mêmes que l'on doit la fabrication de « la vision traditionnelle, de l'histoire européenne, soucieuse d'isoler du contexte une pureté européenne pour expliquer notre évolution en fonction d'origines exceptionnelles et éminentes. » En effet, en même temps que la civilisation hellénique déployait la plus grande intelligence à tirer parti des richesses « extérieures », elle façonnait la vision d'une civilisation européenne à part, dont la singularité résidait dans le rejet de tout ce qui ne parlait pas grec, de tout ce qui était barbare. C'est en suivant ce même schéma que se construira la civilisation et l'histoire de l'Europe. La singularité de l'Europe réside pour une large part dans sa capacité à ne jamais avoir été européenne, mais au contraire de tout temps asiatique et africaine. Mais dans le même temps l'Europe n'a cessé de fabriquer une série de miroirs dans lesquels elle réfléchit l'autre, l'étranger; miroir dans lequel elle l'exclut ou l'y dissout, nie son apport et contemple sa propre singularité rêvée (ou cauchemardée). La relation de l'Europe à la chrétienté est tout à fait caractéristique de ce fourvoiement. Le christianisme est systématiquement utilisé par les intégristes et racistes européens comme la plus haute marque de l'occidentalité; par exemple en opposition à l'Islam ou, pire, à l'animisme. Pourtant, comme aime à le rappeler l'écrivain Raphaël Confiant, le christianisme n'est pas une création de l'Europe mais bien du Moyen Orient. L'adoption du christianisme et, mieux encore, du judéo-christianisme par l'Europe est bien le signe du caractère profondément hétérogène de la culture européenne. Mais, dans le même temps, il est devenu un des plus hauts symboles de l'Europe fermée sur ses mythes historiques ethnocentristes.

Images pressées et rapides, et qui ne prononcent à mon esprit que des mots de colère et de haine aveugle, mais qui passent comme des coups de couteau ou des éclairs dans un ciel engorgé.
(Antonin Artaud)

L'idée d'une Europe pure est fausse comme l'est l'idée selon laquelle l'Europe devrait sa civilisation et sa culture à sa domination sur les autres continents. La culture européenne, ou plutôt les cultures européennes ne se sont pas construites au fil de la domination du reste du monde, mais bien plutôt au fil de la part d'ouverture que possédait l'Europe et grâce au travail de ceux qui ont su de tout temps résister à l'oppression et à la domination extérieure et intérieure exercée par les minorités européennes gouvernantes. En revanche, les, pires horreurs politiques européennes : l'antisémitisme, le nazisme, la collaboration et la colonisation, ont eu pour prémisses la négation généralisée du métissage, de l'ouverture et de la lutte comme force principale du devenir et de la civilisation. Il est vrai, également, que chaque richesse culturelle européenne a été presque systématiquement récupérée par les différents pouvoirs et spoliée de son identité historique : c'est-à-dire affirmée fruit des dominants et non des résistants. Nous ne donnerons qu'un exemple, mais amplement suffisant : Rimbaud. Ce si haut symbole de la littérature française, a forgé son talent entre autres sur la haine absolue qu'il nourrissait envers la bourgeoisie de sa ville natale. Mais celle-ci a su quelques décennies après sa mort se le réapproprier en lui érigeant une statue, revendiquant ainsi une sorte de paternité avec celui qui était son ennemi le plus acharné.

Comme ce mythe d'une Europe faite par ses dominants, est tout aussi ridicule cette idée de l'Europe « univoquement colonisatrice ». L'Europe dans son ensemble n'a pas colonisé les autres continents. Une minorité européenne de militaires, d'entrepreneurs et d'impérialistes, en revanche, a effectivement non seulement colonisé mais également laissé à jamais à coups de massacres et de génocides répétés, l'empreinte indélébile de la douleur dans la chair de l'Afrique, de l'Amérique et de l'Asie. Comme le dit Joseph Fontana à propos de la colonisation, « Si certains secteurs particuliers des sociétés métropolitaines firent de juteux bénéfices au prix de dépenses supportées par la nation entière, cela montre simplement que la frontière de l'exploitation ne passe pas tellement entre la métropole et la colonie, mais entre un groupe limité de bénéficiaires de la métropole - et de la colonie, ne l'oublions pas - et la grande masse de la population de l'une et de l'autre. » Aussi le genre de formules comme « l'Europe a colonisé l'Afrique » ne sont pas innocentes. Elles tirent le trait sur les souffrances du peuple européen et laissent entendre, par la négation même de ces souffrances, qu'il était fait pour dominer, et que même si cela est mal, et que les européens voudraient ne plus représenter cette figure de dominateur, ils le seraient quand même, malgré eux. Or la vérité est toute autre : les Européens, au même titre que n'importe quel peuple du monde, ont subi et subissent encore plus que jamais l'exploitation d'une minorité, qui ne connaît désormais plus de frontières. Ni par son histoire, ni par son présent, le peuple européen n'est mieux loti que les autres peuples et n'a pas moins de travail à fournir que les autres pour inventer l'art de sa libération.

En résumé, l'Européen a l'habitude de se contempler et de se présenter aux autres peuples au nom de trois identités qui ne sont pas les siennes : l'identité du blanc, de l'Européen homogènement européen; l'identité de l'Européen, fils d'une Europe culturellement endogène, dont les richesses culturelles et technologiques seraient le fruit de sa fermeture millénaire; et enfin l'identité de l'Européen dominant, issu d'un continent dont tous les individus auraient participé d'une seule pièce à la domination du monde, et n'auraient quant à eux jamais été dominés par leurs minorités gouvernantes. Si ces identités ne sont pas celles des peuples européens, elles sont en revanche bien celles des classes qui les ont dominés.

Exclus, exclos, esclaves
   
 

Haine des bons sentiments

Débauche de sentiments. Les Jeux Olympiques, les famines, les Sans-Papiers, les refugiés du Kosovo, les fiançailles de Musclor Tatanne avec la championne de tennis Calice Kourkourouna. Les catastrophes naturelles catastrophent, les divorces qui frappent la famille royale qui blède à San Marin, éplorent. La grosse Duduche a quitté son enquilleur de marquis. Quel démon vient donc gauchir ce monde ? Pour l'an 2000, des gugusses feront des grimaces immortelles sur la place de la Concorde.

 
     

Les classes dominantes européennes ont effectivement tout fait pour rester hégémoniquement européennes ou, du moins, aiment à se définir ainsi. Par ailleurs, elles ont également tout fait pour fermer l'Europe aux autres cultures, chaque fois que le débordement pouvait s'avérer dangereux; soit par la fermeture des frontières, soit par la désignation d'un ennemi intérieur, présenté comme représentant unique du dangereux métissage. Enfin, les classes dirigeantes ont effectivement de tout temps participé au pillage en règle des autres continents comme du leur, en s'assurant parfois la collaboration des dominés de leur propre terroir. Soulignons que la méthode la plus efficace que possède une minorité d'expropriateurs pour assurer sa domination, consiste à convaincre les peuples, notamment par l'exclusion de l'étranger intérieur ou extérieur, qu'ils partagent la même identité qu'elle. C'est le cas aujourd'hui du peuple d'Europe que ses gouvernants ont intimement persuadé qu'il était lié avec eux par une histoire, une culture, une suprématie et une culpabilité communes. Ainsi, le complexe du colonisé qu'avait identifié Frantz Fanon, complexe par lequel le dominé en vient à s'identifier à ses maîtres, vaut tout à fait pour les européens eux-mêmes. Et la chose est d'autant plus vraie et cruelle pour les Français. Nombre de Français se voient blancs, c'est-à-dire purs produits de l'Europe mythique. Les pauvres ! Hitler lui-même ne s'était pas trompé. Hitler fut très embêté lorsque les Français optèrent pour la collaboration. Hitler aurait préféré que les Français ne collaborent pas. Comme en rendent compte, entre autres, les films de propagande nazi diffusés avant la défaite de la France et dans lesquels l'on pouvait entendre en regardant des visages bien éloignés de l'idéal aryen : « regardez, elle est belle l'armée de la France. Est-ce cela l'Europe ? »

En fait, l'on pourrait dire qu'il existe, d'une part, l'homme occidental qui a ses réalités, complexes et métissées, et d'autre part, sa version pathologique : nous l'appelons l'homme occidental occidentalisé, c'est-à-dire passé à la moulinette d'une idéologie de l'Europe fabriquée par ses maîtres et qui nie sa spécificité plurielle, et ne lui permet pas de rencontrer les peuples des autres continents. On sait qu'une certaine Europe, celle de la colonisation, a imposé à nombre de peuples africains leur propre histoire ; une histoire tronquée. Ainsi a-t-elle nié, comme l'a montré Cheik Anta Diop, l'origine nègre de l'empire Égyptien. Ainsi encore, plus récemment, a-t-elle voulu voir en la communauté des Tutsis du Rwanda, des descendants noircis de blancs et des dominateurs de Hutus sauvages (qu'elle a au final aidé à se libérer de manière on ne peut plus radicale du joug quelle avait imaginé). Mais cette Europe a fait de même avec son propre peuple. Elle lui a imposé une histoire qui n'est pas la sienne et au fil de laquelle se dissout la complexité, la souffrance, et le sens des combats actuels que doivent mener les peuples européens aux côtés des autres peuples. Mais cela va encore plus loin. Cette histoire tronquée de l'Europe, elle l'a imposé également aux Africains. Ainsi, lorsque les Africains dénomment tout Occidental qui vient chez eux, toubab, leur parole porte cette histoire tronquée. Histoire tronquée de l'Europe qui renvoie à l'histoire et à l'identité tronquées de l'Afrique. Et nous disons bien histoire et non passé. Car l'histoire n'est pas que le passé. Elle concerne le passé autant que le futur. L'histoire a son passé, mais elle n'est jamais finie. Et c'est évidemment l'histoire à écrire, l'histoire de demain qui compte aujourd'hui. Mais l'histoire est un tout. Et lorsqu'une partie de cette histoire, passée, est faussée, le reste, celle à faire, l'est aussi.

La singularité et les trésors culturels de chaque peuple ont été de tout temps déterminés par leur capacité à s'ouvrir à l'autre, proche ou lointain, et à résister aux jougs de toutes sortes. C'est, selon ce principe, et en vue de sa continuité que les peuples d'Europe et d'Afrique doivent aujourd'hui se rencontrer, s'allier, penser, construire et lutter ensemble, et non au nom d'une histoire qui n'est pas celle des peuples mais de leurs dominants, et qui renvoie systématiquement les uns et les autres à l'obligation de se justifier au lieu d'agir.


Jérémie Piolat


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 23 avril 03 par TMTM
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