Les périphériques vous parlent N° 13
printemps 2000
p. 31

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insert

Génération Chaos en action
photo : Florent Maillot

Le Technique et le Tekhnique.

Le problème de la création tire à lui tout un fil d'or d'autres mots : l'art, au sens de métier mais aussi de savoir, de maîtrise, de Tèkhnè. À l'origine, la Tèkhnè est commune à l'artiste et à l'artisan. Le “Tekhnique” ainsi écrit ne se rapporte pas seulement au fait d'user d'une technologie - matérielle ou immatérielle - pour fabriquer un objet ou un bien. Parce que l'œuvre suppose des opérations enchaînées dans un certain ordre, des moyens, des outils, le “technique” lui, désigne ce qui est “propre à une activité réglée”. Mais si Tèkhnè, quant à elle, induit la notion de savoir-faire, de règles dans l'activité elle destine néanmoins les prétentions de l'artiste à autre chose que la virtuosité ou l'habileté et tout ce qui relève de la réalisation technique d'une visée artistique. Aristote fait mention de la Tèkhnè de l'art poétique, par exemple, à partir des improvisations et des expériences tentées par des individus “non guidés par un art encore inexistant”. La Tekhné a donc pour point de départ un non-savoir et c'est ce qui lui confère sa dimension expérimentale. L'expérimentation précède donc toute Tèkhnè. S'il y a un objet qui s'appelle une œuvre, on ne peut pas dire qu'elle découle de la Tèkhnè comme une conclusion découle d'une prémisse. Tèkhnè est définie par Aristote comme “la connaissance que l'on dégage d'une série d'expériences”. L'expérience dont il s'agit est l'action que l'on tente en vue d'obtenir des résultats. De ce point de vue, les artistes sont ceux qui tentent, et c'est pourquoi l'adjectif tekhnique paraît plus approprié pour approcher la création en tant qu'elle est d'abord expérimentation et tentative. Ce à quoi répond encore le terme artefact pour désigner une œuvre : le fait de l'art pour désigner une œuvre. Expérimenter, c'est agir en vue d'un résultat qui n'est pas donné, et qui exige que l'on ruse pour l'atteindre en inventant des artifices. Mais l'artiste n'utilise pas des techniques pour obtenir tel résultat ou effet comme une création ne se déduit pas de la maîtrise technique, même si elle l'implique. L'explication technique va bien souvent soulager de tout autre type de considération puisque c'est un discriminant qui permet d'établir que, là, une chose tire sa valeur d'un travail et que là, au contraire, elle relève de la charlatanerie ou de la pure auto-proclamation de l'artiste. D'où, bien souvent, l'idée de l'artiste “faiseur”, familier des techniques qu'il lui a suffi d'acquérir pour donner la pleine efficacité de son art. Qui expliquait le talent d'un acteur par le conditionnement rigoureux qu'il s'appliquait à lui-même pour “jouer la comédie” ? C'est là réduire l'œuvre à la dimension d'un savoir-faire orthodoxe qu'un faiseur domine. Et l'on connaît le soin des professionnels du spectacle dont le métier est d'en garantir la magie au spectateur que ce dernier vient chercher dans une salle obscure.

Yovan Gilles - extrait d'un ouvrage à paraître : Poïésis, création, Tèkhnè.


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Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 20 avril 03 par TMTM
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