Les périphériques vous parlent N° 9
hiver 1997/98
p. 1

sommaire du n° 9 sommaire
la perspective des fora à Saint-Denis la perspective des fora à Saint-Denis
éditorial
quelles résistances,
quelles pratiques,
quels lieux pour
le devenir citoyen ?

LA RENCONTRE DE FONDATION DES FORA DES VILLAGES DU MONDE

Cet été, les 5, 6 et 7 août, s'est déroulée, en Provence, la rencontre de fondation des Fora des villages du Monde (avec le parrainage du Monde Diplomatique, de l'Université de Paris 8 et de la ville de Saint-Denis. D'autre part, l'expression village est un terme générique pour désigner une organisation, une ville, une association, une université, une Mairie ou tout autre groupement humain et collectivité agissante). Quarante-trois villages de quatre continents (Afrique et Proche Orient, Europe, Amérique du Sud et Amérique du Nord) avaient répondu à l'invitation du Groupe de Lisbonne, du Forum Civique Européen et du journal Les périphériques vous parlent. La rapidité avec laquelle cette initiative a vu le jour - la décision d'organiser cette rencontre de fondation n'ayant été prise qu'en février 97 - pouvait laisser douter du succès d'une telle démarche - En effet mobiliser un nombre de villages significatif dans des délais très courts, semblait hasardeux. En dépit de ces conditions d'urgence, la rencontre a réuni près de 150 personnes venues du monde entier. Nous ne pouvons ici dresser la liste de tous ceux sans qui cet événement n'aurait pu se dérouler. À l'issue de cette rencontre, quatre villages se sont proposés d'accueillir dans les années qui viennent les prochains Fora des Villages du Monde : le groupe Mahaleo à Madagascar (en 1999), le Centre International Martin Luther King pour la Paix à Kigali au Rwanda, Solidarité Rurale et l'association Éducation Planétaire de l'Université de Montréal au Québec, et la Mairie de Saint-Denis en France. Après discussions, l'objectif d'un premier forum à Saint-Denis en 1998, a été retenu.

Ce texte ne se veut pas un compte-rendu de la rencontre, mais le point de vue forcément partiel des Périphériques vous parlent. Dans les prochains numéros, la rédaction ne manquera pas de revenir plus en détail sur les perspectives dégagées par la démarche des Fora.

Dans le numéro 8, nous avions exposé les raisons, les objectifs de ce projet visant à promouvoir, face aux nuisances de la pensée unique, l'expression d'un devenir citoyen à l'échelon mondial.

Pour résumer brièvement, disons que le premier objectif, social, vise la mise en œuvre de formes d'organisation de la citoyenneté dans lesquelles les citoyens cherchent à être, à vivre et à faire ensemble dans l'esprit du cum petere, d'un chercher ensemble qui est le sens étymologique du mot compétitivité, auquel l'économie de marché a donné le sens d'élimination du concurrent. Le deuxième, concernant l'innovation culturelle, voudrait rendre visible d'autres manières de penser et de voir le monde à travers des témoignages, des expériences et des pratiques. Enfin, un objectif pédagogique consécutif au précédent vise la production de média de toutes sortes pouvant être diffusés à travers le monde. Il s'agit de produire une autre narration du monde, selon l'expression de Riccardo Petrella, apte à contrer les narrations dominantes basées sur le crédit exorbitant accordé aux vertus de la guerre économique, et surtout pouvant dégager d'autres possibles humains.

Il est impossible de rendre compte dans ce court texte de la richesse des problèmes évoqués et de la diversité des interventions des participants durant ces trois jours. Relevons seulement que la plupart des villages ont pu constater que trois jours, c'était bien peu, ne serait-ce que pour survoler l'ensemble des questions complexes qui se posent aujourd'hui aux prétendants-citoyens de tous les pays. Une série de forums réunissant à des moments déterminés des personnes du monde entier, ne saurait suffire à produire des alternatives significatives sur le long terme. Aussi, l'exigence d'une activité permanente des fora dans des lieux, des espaces où pourraient se construire les relations et les projets entre villages, a été évoquée à maintes reprises.

Cet été, pour notre part, nous n'ayons pas manqué d'insister sur le fait que le changement des pratiques culturelles devait être au cœur de la construction d'un projet mondial. Ceci, en soutenant que c'est à tous les citoyens, et non seulement à des instances, des appareils et des experts légitimés pour la circonstance, de proposer des alternatives aux politiques néo-libérales qui s'imposent partout. Aussi, au-delà des luttes conjoncturelles dans lesquelles chaque village est engagé, comment construire un projet commun basé sur la spécificité de chacun plutôt que sur un agglomérat de collectifs recherchant désespérément un consensus autour de la « meilleure » idée ou de la cause la plus noble à défendre ?

Notre opinion est. que toute politique, toute action qui, aujourd'hui, ne contribuerait pas à un changement dans les manières de voir, de penser et de faire à travers le monde n'aura certainement guère de chance de remettre en cause des représentations dominantes qui imposent, elles, toute une culture, une manière de faire de la politique ou bien encore un certain type de rapports entre pays du Nord et pays du Sud.

C'est qu'il ne suffit pas de reconnaître l'autre à travers une image que l'on s'en fait, le plus souvent une image idéale qu'ont forgé pour nous les préjugés, les média ou encore les bons sentiments. À cet égard de nombreux participants, notamment des villages du continent africain, n'ont pas manqué de dénoncer les résidus de néocolonialisme dans les intentions charitables de tous ceux qui prétendent pouvoir aider les autres au nom d'une sacro-sainte idée de la coopération. Ne parlons pas d'un certain conformisme à visée humanitaire qui, fasciné par l'action pour l'action, aboutit en fait à un véritable évitement du politique.

Précisons, enfin, que pour les organisateurs la nature d'un tel projet se devait d'impliquer une réflexion sur la forme même des échanges. Quel type de débats générer qui soient les plus démocratiques possibles, surtout dans le cadre des épineuses assemblées plénières ? Comment s'organiser entre villages sans le recours à une forme de bureaucratie instituant le pouvoir des uns et la dépendance des autres ? Certes ces questions, qui furent abordées lors de cette rencontre, ont plus ouvert un champ de prospection qu'elles n'ont débouché sur un « modèle d'organisation » satisfaisant pour tous. Rompre avec les habitudes qui structurent les réunions internationales reposant entre autres sur les discours magistraux, le cloisonnement des groupes humains et des expertises ou encore sur une séparation stérile entre ceux présumés penser et ceux présumés agir, implique à notre sens de concevoir des modes d'organisation spécifiques.


vers le début de la page
la perspective des fora à Saint-Denis

LA PERSPECTIVE DES FORA À SAINT-DENIS

La ville de Saint-Denis se propose d'accueillir un premier Forum des Villages du Monde en 1998, co-organisé avec Les périphériques vous parlent. Nous renvoyons ici à l'entretien avec Patrick Braouezec, Député-Maire de Saint-Denis, évoquant non seulement cet accueil, mais surtout une manière de voir la ville comme un laboratoire culturel, social et politique d'un nouveau type. Parler des résistances face à une mondialisation qui exclut, implique que se manifestent des innovations et des alternatives proposant partout dans le monde d'autres critères de développement humain. Ce point nous paraît important dans la perspective de l'organisation de ce prochain forum. Seules des alternatives, qu'elles se produisent sur le terrain du culturel et de l'artistique, du social, du politique, de l'éducation, de l'agriculture, peuvent attester d'une richesse humaine que n'arrivent guère à évaluer les indicateurs de croissance en vigueur aujourd'hui.

En effet, la situation actuelle aboutit à jeter de plus en plus de personnes, les jeunes en premier lieu, dans les circuits périphériques de l'économie. À la disqualification par l'emploi - de plus en plus d'emplois « sous-qualifiants » voient le jour alors que les emplois hautement qualifiés sont réservés à une minorité - s'ajoute une disqualification culturelle de toute initiative humaine ne se soumettant pas à la loi de l'argent et aux critères imposés par le marketing. Mais de plus en plus de gens sentent bien, au fond, que le statut social sera de moins en moins tributaire de l'occupation d'un emploi rémunérant simplement la force de travail et épinglant les individus dans des catégories bien définies. C'est le développement des qualités humaines propres à chacun, la diversité et la richesse culturelles qui, à notre sens, conféreront de plus en plus au travail et à la production leur valeur. Ainsi, c'est bien souvent la richesse des citoyens, des cultures, l'expression des différences que l'on sacrifie sans même le plus souvent s'en apercevoir, soit que l'on ne veut pas les voir, soit que l'on ne sait pas les voir. Ce sont donc ces possibles humains que nous voudrions placer au cœur d'une action et d'une pensée concernant une autre manière de faire de la politique, dans le cadre de ce premier forum qui sera placé sous le signe de l'urbain.

Car l'urbain est aujourd'hui l'objet d'un partage de plus en plus net entre centres et périphéries, quartiers et banlieues. Mais, bien souvent lorsque l'on aborde la question des « banlieues », des « périphéries », c'est trop facilement pour se contenter d'une vision misérabiliste de la condition urbaine. Avec la tenue de ce forum à Saint-Denis il s'agit d'affirmer une vision de la ville s'appuyant sur cette idée que les communautés urbaines à travers le monde sont d'abord riches de tous les citoyens (hommes, femmes, citoyens en France de toute nationalité, adolescents, enfants) qui la composent, de même riches des modes d'expression et des différences propres à chaque groupe, ethnie, association, qu'elles ressortent des quartiers, des universités, des entreprises ou d'ailleurs. C'est dans les lieux et les non-lieux de la ville que la citoyenneté s'invente au quotidien, que de nouvelles manières de vivre ensemble peuvent devenir réalité.

La construction d'une telle culture plurielle nous semble la meilleure réponse à la fois à la pensée unique et aux pires rancœurs à caractère national qui prépareront, si nous n'y prenons garde, les apartheids culturels de demain.

ESPACE PUBLIC CITOYEN

L'exigence démocratique de lieux où expérimenter s'était manifestée lors de la rencontre de fondation des Fora. Aujourd'hui, nous voulons en faire une revendication majeure. Notre contribution pour le Forum de Saint-Denis portera sans doute sur la réalisation d'un tel projet. L'exigence de places citoyennes face aux places financières nous semble fondamentale. En double page, nous publions quelques éléments de réflexion, dont un texte manifeste de Marc'O qui, faisant écho à ces préoccupations, tâche de donner forme et contenu à cette quête d'espaces citoyens. La création de tels lieux ne peut certes pas en soi résoudre l'ensemble des problèmes auxquels les sociétés mondiales sont confrontées. Mais nous pensons que sans le préalable d'espaces ouverts et travaillant en permanence, il n'y a guère de chance que les alternatives et les résistances d'où qu'elles viennent puissent arriver un jour à coordonner leurs efforts, leurs savoir et leurs pratiques, à l'heure où le monde de la techno-finance, lui, ne cesse d'ériger ses tours vertigineuses dans l'ensemble des métropoles.

La rédaction


vers le début de l'article
vers la perspective des fora à Saint-Denis
sommaire du n° 9 sommaire
article suivant dans le n° 9 L'espace public citoyen

Les périphériques vous parlent, dernière mise à jour le 22 avril 03 par TMTM
Powered by Debian GNU-Linux 2.4.18